Trajet des odeurs jusqu’au cortex olfactif
La mémoire des arômes
docteur Christophe Gabou
Temps de lecture : 12 minutes
Date de parution : mars 2023
Table des matières
Ce n’était probablement pas pour rien que le géant Tyrannosaure était l’un des dinosaures les plus redoutés. La taille démesurée de son système olfactif le dotait d’une arme redoutable.
Actuellement l’homme n’a ni prédateur, ni proie à détecter à des kilomètres à la ronde.
Sentir ne semble plus être de première nécessité de nos jours et l’explication des mécanismes de l’olfaction semblaient découverts depuis longtemps (mais de manière incomplète).
Et pourtant, lorsque deux chercheurs américains, Linda Buck et Richard Axel, ont entrepris l’étude des récepteurs olfactifs, ils ont eu du nez !
La découverte de la plus grande famille de gènes connue à ce jour a été récompensée par le Prix Nobel 2004 de Physiologie et de Médecine.
L’odorat : un sujet longtemps ignoré
Le processus d’hominisation a privilégié le développement de l’ouïe et de la vue au détriment de l’odorat et du gout…
En effet en dehors du domaine alimentaire où l’odorat permet de distinguer le « bon du mauvais » l’humain ne tire que peu de bénéfice de cette faculté olfactive
On remarque d’ailleurs l’étroite intimité entre le goût et l’olfaction (et a fortiori la rétro-olfaction)
Sentir est-il un luxe de nos jours ?
Cette conclusion hâtive est certainement erronée au vu des pathologies nasales susceptibles d’altérer l’odorat voir de le pervertir.
Quoi que plus désagréable d’avoir une anosmie pervertir le goût voire même une cacosmie altérer notre psychique …
L’anosmie est la perte de l’odorat.
La cacosmie est la sensation d’odeur nauséabonde
On a tous eu la désagréable expérience « d’avoir l’impression de manger du carton » lors de nos rhinites saisonnières qui altèrent notre fonction olfactive.
L’homme est pourtant capable de distinguer 4000 odeurs différentes, c’est très peu en regard des canidés ou d’autres espèces d’animaux
Comment l’expliquer ?
Tout se passe au niveau des cellules neurosensorielles de l’appareil olfactif bien plus nombreuses chez d’autres espèces animales que chez l’homme :
- 5 à 10 millions pour l’homme contre
- 200 millions chez le chien
Qu’est-ce qu’une odeur ?
Est-elle primaire ou complexe ?
Comment retranscrire une odeur et l’intégrer au sein du cortex cérébral (signal chimique en signal électrique) en vue d’une transcription durable permettant de susciter l’intérêt (et de remémorer un agréable souvenir) ou le dégoût ?
Nous allons tenter d’y répondre …
Une odeur : une chimie compliquée
La réunion de plusieurs molécules odorantes primaires
Ainsi, par exemple, le citron a une odeur acide et fruitée donc son odeur est la réunion d’une molécule odorante acide et d’une molécule odorante fruitée.
Autre exemple, l’odeur d’une fleur. Pour simplifier, c’est à la fois une odeur douce et parfumée. Son odeur est donc composée à la fois d’une molécule odorante douce et d’une molécule odorante parfumée.
L'environnement des arômes
Un verre de vinaigre, imbuvable, devient supportable si on ajoute une grande quantité de sucre. Pourtant l’acidité mesurée ne change pas.
La sensation acide est alors affaiblie parce que la perception des saveurs dépend de l’environnement des récepteurs gustatifs.
Les mêmes interactions existent autour des récepteurs olfactifs.
La rétro-olfaction : le passage d’un état liquide à un état gazeux
La plupart des aliments sont composés à la fois d’eau et de matières grasses, insolubles dans l’eau.
Quand les aliments sont mis en bouche, les molécules aromatiques ou sapides atteignent les récepteurs gustatifs après avoir diffusé dans la salive (solution aqueuse).
Simultanément, ils passent en phase vapeur, dans l’air contenu dans la bouche, d’où ils migrent vers les récepteurs olfactifs.
On a constaté grâce à de diverses expériences que selon la texture des aliments, et la composition des arômes, ces derniers passent plus ou moins rapidement d’une phase à une autre.
L’intime relation entre le goût et l’olfaction
Expérience 1 : on fait gouter de la sardine le nez débouché puis bouché.
95% des personnes trouvent que le goût du poisson est plus important, le nez débouché.
L’odorat est donc primordial dans la perception du goût.
Expérience 2 : on fait gouter un gâteau à la vanille parfumé à l’orange.
95 % des interrogés trouvent que le goût du gâteau est à l’orange !
Quelques-uns sont revenus sur leur décision et 5 % répondent correctement.
Les bonnes réponses ont été données par les goûteurs ayant pris leur temps d’analyser la couleur du gâteau (les petits points noirs de la gousse de vanille) et ayant pris le temps de mâcher longuement celui-ci.
La mastication a fait passer des composés liquides dégradés par la salive, ce qui a permis de dégager des arômes en phase gazeuse. Ceux-ci ont alors emprunté la voie rétro-olfactive qui a permis de modifier la perception du goût. Le ressenti de la vanille n’est venu qu’au second plan, l’arôme d’orange a été senti en premier.
En conclusion
Le goût et l’olfaction sont deux sens très similaires.
L’olfaction, et a fortiori, la rétro-olfaction ont un rôle majeur dans la perception du goût.
Organisation du système de l’olfaction et de la rétro-olfaction
à l’échelle macroscopique : anatomie du système olfactif
Tout se passe à l’étage du Rhino-Pharynx derrière l’orifice nasal, au-dessus du palais et en dessous de l’étage antérieur de la base du crane.
Physiologiquement, l’olfaction suit un circuit classique d’entrée de l’air par l’orifice narinaire.
Le flux chargé de molécules odorantes excite alors la muqueuse olfactive et déclenche la cascade biochimique permettant l’intégration de cette odeur au sein du rhinencéphale (reconnaissance, activation des phénomènes végétatifs : dégout et nausées, salivation etc.)
La rétro-olfaction est différente. Après avoir déclenché la « saveur « au niveau des papilles gustatives, les molécules odorantes viennent « a rétro » à travers les choanes (orifice postérieur du rhinopharynx) exciter la zone olfactive. Après la sensation de goût (amer, acide, sucré, salé) vient l’olfaction qui complète donc l’aspect gastronomique de notre alimentation : la fragrance …
D’ailleurs, en passant par la bouche les molécules odorantes sont oxygénées, amplifiées et commencent même à réagir avec la salive. Des « néo composants » olfactifs sont alors créés.
Il existe à ce niveau ce que l’on appelle :
la muqueuse olfactive
La muqueuse olfactiveest une tache jaunâtre située au niveau du cornet nasal supérieur. D’une superficie de 10 cm² pour l’homme elle s’étend à 20 cm² chez le chat.
les filets des nerfs olfactifs
Le bulbe olfactif
Le bulbe olfactif reçoit sur sa face inférieure tous ces filets olfactifs.
Le tractus olfactif
Le tractus olfactif (ensemble d’organes qui constituent un appareil) prolonge ce bulbe et s’élargit en formant le trigone olfactif d’où partent
Les stries olfactives
Les stries olfactives, latérale, intermédiaire et médiale qui pénètrent le cortex cérébral (rhinencéphale) en différents locus.
- La strie latérale rejoint le lobe frontal
- La strie intermédiaire rejoint l’espace perforé antérieur
- La strie médiale rejoint le lobe temporal du cerveau
Les connections encéphaliques
Les connections encéphaliques appartiennent au système limbique qui sont complexes et pas toutes systématisée.
Certaines rejoignent les noyaux salivaires (fonctions végétatives qui nous fait saliver en présence d’une odeur culinaire agréable !), d’autres partent « alimenter « notre système mémoire d’odeur »
à l’échelle neuronale microscopique
Ces différentes structures font le lit de réseaux neuronaux complexes :
L’épithélium olfactif
L’épithélium olfactif structure la muqueuse olfactive. Il est le siège de la cellule neurosensorielle olfactive.
C’est le premier neurone bipolaire dont :
- la dendrite (prolongements du corps cellulaire des neurones) se renfle en un bulbe d’où naissent 6 à 8 cils olfactifs qui contiennent les récepteurs odorifères.
- l’axone (fibre nerveuse, prolongement du neurone) se perd dans le bulbe olfactif.
Au nombre de 10 millions ces cellules neuro-sensorielles olfactives se régénèrent régulièrement (survie de 30 à 120 jours).
Avec l’âge leur nombre diminue ce qui nous fait penser que la diminution de l’olfaction est un signe précurseur du déclin cérébral.
Chaque neurone olfactif ne porte qu’un seul type de récepteur et les neurones qui expriment le même type de récepteur sont réunis dans une structure commune appelée glomérule (zone à très forte densité synaptique du bulbe olfactif) .
Ceci a comme conséquence:
- la constitution d’une carte des odeurs au niveau du bulbe
- l’impossibilité d’une fausse association d’odeur (odeur d’une fleur différente de l’odeur d’une fumée d’échappement)
Il existe une sorte de cloisonnement des odeurs au niveau du bulbe.
La cellule mitrale
La cellule mitrale
- fait synapse (s’articule) avec un glomérule et
- parcoure le tractus olfactif en sachant qu’une cellule mitrale sera adressée spécifiquement à un glomérule réunissant les cellules neuro-sensorielles porteuses d’un même type de récepteur
- rejoint ensuite par son axone les stries olfactives pour se projeter vers les différentes aires du rhinencéphale.
Le système parait donc simple et l’équation :
molécule odorante – récepteur – relais cortical – perception de l’odeur
semble suffire à expliquer l’olfaction …
Le problème est qu’il existe une discordance entre le nombre de récepteurs et l’intégration corticale des odeurs.
à l’échelle moléculaire
Les travaux de Linda Buck et Richard Axel, Prix Nobel de Physiologie et Médecine 2004 ont ouvert une voie beaucoup plus rationnelle mais complexe a cette faculté olfactive.
C’est ainsi qu’ils ont exploré la voie bio moléculaire (génétique) pour trouver l’origine primaire de cette perception olfactive.
Leurs travaux ont permis de trouver une famille de 200 gènes codant pour autant de récepteurs olfactifs.
Sachant que nous possédons 20 à 25 000 gènes on a donc à peu près 1% de nos gènes qui codent pour des récepteurs olfactifs, c’est énorme !
C’est ainsi que les récepteurs olfactifs serait la plus grande famille de protéines connue à être codée chez l’être humain.
La discordance n’est pas encore élucidée à ce stade : 200 récepteurs pour 2 à 4 000 odeurs perçues !!!
Comment l’expliquer
Axel et Buck ont eu du flair !
Revenons aux récepteurs : ce sont des protéines synthétisées à partir de 200 gènes. Leur séquence est la suivante :
L’analyse montre l’existence de quatre domaines fixes (en vert) communs aux 200 récepteurs retrouvés génétiquement.
La partie centrale (en jaune) est variable ; c’est elle qui, en rencontrant une nouvelle molécule odorante, se modifie en créant un néo récepteur dont la structure périphérique est identique à l’un des 200 déjà existant.
Pour ces raisons, nous pouvons partager l’enchantement de Linda Buck et Richard Axel lorsqu’ils affirment que l’odorat et le système olfactif constituent
« une énigme merveilleuse et sans fin ».